Le cercle rouge




Le héros melvillien rêve, comme chacun sait, d’Amerique. De Chevrolet. D’holsters et de Colt 45. D’impers et de borsalinos. L’Amérique en noir et blanc des années 50. Une Amérique fantasmée et très personnelle, zen. Lassé de leur rêverie, aspirant à retourner au cosmos, les héros de Melville sont sur le point de se réveiller. Il ne ressemble ni à Bogart ni à Cagney. Il en revêt l’armure, mais il n’est pas incandescent. Il est évanescent. Abstrait. Epuré. Il a également dépassé le stade de la mélancolie, il ne jouit plus de son absence au monde. Souvent mangé par le brouillard et la pluie, cinglé par un vent sec et glacial, le héros melvillien a toujours froid. Il aspire à l’Eveil, à la plénitude, au Nirvana. Débarrassé des passions humaines, il finit toujours bouddhiste.
Dans Le cercle rouge, une rose écarlate offerte au héros annonce sa mort prochaine. A s’en aller, l’écrin Corey n’affiche aucune tristesse. Juste un sourire d’adieu. 
Gian Maria Volonte, lui, incarne une autre figure melvillienne. Remake en couleurs d’un Ventura noir et blanc, Volonte veut en finir avec un cauchemar récurrent chez Melville : cavaler, à perdre haleine, pour échapper à l’enfermement.
Il en va différemment pour Montand qui, après avoir réhabilité sa boîte, meurt d’avoir trop voulu viser. D’être trop minutieux. Trop de professionnalisme menace constamment de tuer l’instinct. Montand est ici une projection de Melville. Melville qui a toujours préféré la sensualité et la précision maniaque du geste à l’instinct mélodramatique du cinéma. L’avarice des sentiments exprimés par ses personnages est en réalité gage de leur fulgurance.
Dans les films de Melville, on s’éclipse en silence, on se réveille sans souffrir. Avant de vouloir rêver à nouveau. D’histoires d’honneur et d’amitié. D’histoires d’amour esquissées. Esquissées par des regards, autrement dit des frôlements d’âmes. D’histoires en noir et blanc, entre des flics et des truands. D’histoires de résistants. D’histoires révolues.